Je continue d’écrire, car il me semble important d’interpeller le Quai d’Orsay après avoir envoyé ma prose au CIO. Pour avoir lu les diverses archives disponibles sur le sujet, on remarque vite que notre diplomatie n’est pas avare de réactions. Les gouvernements passent, les conseillers ministériels changent, le discours reste le même. Je crois que c’est Joshka Fisher qui avait inventé cette association de mots barbares real politik. J’avais vu celà dans un docu à la Berlinale. Si je me trompe, merci de mettre un message dans les commentaires. Real + politik, deux mots qui à mes yeux pourraient être remplacer par un seul, honte. Ou Shame pour les anglophones. La real politik , c’est la solution de facilité d’un diplomate qui n’a plus de réponse à un problème récurrent. Certes, je concède volontiers que l’on ne peut déclencher une guerre, serait-elle diplomatique, au sujet de tout. On ne peut pas non plus tomber dans l’ingérence permanente surtout lorsque tout est loin d’être parfait chez nous. Après tout, la France, le Royaume-Uni, la Suisse sont aussi des pays condamnés par la CEDH. Et puis Obama a toujours le cas de Guantanamo a régler.
Il y a quand même des limites à tout.
La politique russe est calquée sur la politique moderne qui revient à fonctionner par palier ou par étapes. Il y a une sorte de gradation. C’est un peu la politique des petits pas. Si en 2006, le pays avait re-pénalisé l’homosexualité, il y a fort à parier qu’il aurait été exclu du Conseil de l’Europe. Alors il s’est plutôt attaqué à la liberté de manifester, puis celle d’association et enfin maintenant, la plus emblématique, la liberté d’expression ! Et ca passe comme une lettre à la poste. Certaines chancelleries se disent consternées mais bof, sans plus. Même l’obligation pour les ONG locales de s’enregistrer comme « foreign agent » n’a pas beaucoup choqué nos chancellerie. Il n’est même pas question d’exclusion temporaire de la Russie à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) alors que pourtant, il y a des précédents. De toutes façons, la Russie a un statut spécial dans cette organisation strasbourgeoise. Elle y fait ce qu’elle veut puisqu’elle en est membre sans pour autant être obligée d’appliquer les décisions rendues contre elles par la Cour Européenne (CEDH) que pourtant, elle s’est engagée à appliquer. heu… vous me suivez? J’ai retrouvé un écrit de Louis-Georges Tin qui avait interpellé plusieurs membres de l’APCE à ce sujet à un de ses retours de Moscou. Ces gens pourtant très LGBT friendly lui avaient répondu que suspendre la Russie même pour six mois était une très mauvaise idée car cela ne pourrait que nuire aux LGBT russes qui seraient victimes de mesures de rétorsions. En gros, il était urgent de ne rien faire. Surtout, ne rien faire. Bref, 2 ans plus tard, on compte les morts… sans rien faire. Surtout sans rien faire.
Au Quai d’Orsay, on pense pareil. On est moderne, on pense real politik. On « monitore » la situation régulièrement. Voilà au moins, un truc qui n’est ni de droite, ni de gauche. Le monitoring, ca met tout le monde d’accord! J’ai lu des commentaires dans un article récent ou un Yaggeur n’était pas forcément d’accord que le Quai s’intéresse aux problèmes des autres ailleurs, en Russie notamment. La remarque aurait valu pour d’autres pays je pense. Je vois très bien ce qu’il veut dire et je comprends également la position de notre diplomatie. Il y a juste un élément qui me gêne. Suite à l’article de Judith que je mentionnais dans mon premier post, je suis allé faire un tour sur le site du Ministère où sont détaillés les Conseils aux Voyageurs. Je ne sais pas trop ce que le Minisère « monitore » car il n’y a aucune mise en garde pour les LGBT. Rien. Nada. Je vous laisse vérifier. Notre diplomatie (et c’est une des rares car j’ai vérifié les autres pays) attendrait-elle qu’un de ses ressortissants soit victime de toute cette haine avant d’agir?FAut-il un élément déclencheur?
Un conseil: si vous branchez grindr, gayromeo ou autres lors d’un voyage russe, faites attention. On ne sait jamais qui pourrait se pointer au rendez-vous. Et si vous correspondez depuis la France avec un russe, tout mignon, qui vous aime déjà au premier message comme un de mes amis qui a eu tendance à croire au père noël, alors faites attention avant de lui envoyer de l’argent par western union pour son visa et son billet. C’est du fake. La encore, le site du Ministère, très LGBT friendly, ne mentionne que les arnaques impliquant « des jeunes femmes russes ». Bref le scam hétéro. De deux choses l’une. Soit il n’y à que des hétéros dans la diplomatie française, soit le monitoring laisse à désirer. D’ailleurs ce monitoring est de très bonne qualité jusque dans les informations concernants les visas: les tests HIV ne sont plus demandés… allo, non mais allo quoi…
Plus sérieusement, il y a eu trop de morts cette année, trop d’agressions et trop de suicides pour que la France continue d’être préoccupée et de monitorer. Le temps de la préoccupation est passé. L’Europe a rendu Mugabe persona non grata en l’interdisant de se rendre sur son territoire. Les Suisses avaient un temps bloqué l’entrée dans Shengen pour les dignitaires libyens. Les américains ont créé la liste Magnitsky. Le concept du visa ban est effectif. Il n’est pas nouveau et il fonctionne bien. Il envoie des messages clairs et direct. Il vise les bonnes personnes. C’est un bon compromis. La France peut inscrire les députés Mizulina et Milonov sur cette banned list. Oh, ils pourront toujours rentrer dans l’espace Shengen, où ils viennent régulièrement, mais cela sera un peu plus long et un peu plus compliqué pour eux. D’abord, la France leur sera fermée et puis surtout ils devront demander des visa nationaux auprès des différents pays qu’ils souhaitent visiter. Quelques tracasseries administratives qui ne sont rien comparées aux jeunes LGBT victimes de harcèlement homophobes qui n’ont trouvé que le suicide comme réponse à ce qu’ils ont enduré.
J’ai beau avoir cherché, je ne peux que souscrire à cette initiative de visa ban que certains ont déjà lancé sur le site de la Maison Blanche. A 100’000 signatures, l’administration américaine devra répondre et considérer la question. En France, on ne sait pas trop. Je me dit que si notre Ministre des Affaires Etrangères pouvait recevoir 1’000 lettres un comme la mienne (si vous avez plus d’idées ou de temps, faites la votre), alors on pourrait peut-être avoir un déclic. Ou bien devons nous imaginer une manif sous ses fenêtres? Ou alors une Tribune dans Libé? Je vous laisse juge, je n’ai pas de contact avec les grands quotidiens nationaux et ma prose n’est pas assez bonne de toutes façons!
ABE
Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères
37, Quai d’Orsay
75700 Paris SP 07
Monsieur le Ministre,
6 ans de perdus et maintenant des morts.
Les discussions autour de la répression des personnes LGBT en Russie vont nulle part. La France a parfois réagit, elle n’a jamais agit.
Le Président précédent avait évoqué la question des personnes LGBT en Russie lors de sa visite d’état en 2007. Avec peu de succès puisque la situation n’a fait que s’aggraver ces dernières années.
Depuis quelques semaines, un nouveau palier a été franchi.
Depuis l’entrée en vigueur, ce mois-ci, d’une énième loi réprimant « la propagande gay », le bilan est déjà bien réel, 6 militants ont été arrêtés pour « propagande gay » à Moscou, et quelques jours plus tard, un groupe de 4 hollandais a été arrêté de manière musclée puis, expulsé du pays sans possibilité de retour avant 3 ans.
La prochaine étape sera soit la (re)pénalisation de l’homosexualité soit l’interdiction d’exercer certaines fonctions notamment dans l’enseignement public. Ces discussions ont déjà eu lieu par le passé.
Pourtant, les militants russes se sont battus comme ils l’on pu, faisant usage de leur droit à poursuivre leur pays auprès de la CEDH et du Comités des Droits de l’homme de l’ONU. Les diplomaties étrangères leur avaient dit que sans décisions contraignantes, rien ne pourrait être entrepris.
Leur acharnement a payé. Ils ont gagné auprès des deux instances.
La CEDH a condamné la Russie en Octobre 2010. Le Comité des droits de l’homme en Octobre 2012.
Mais la Russie refuse toujours d’appliquer ces décisions historiques. Au contraire, elle provoque ses partenaires en allant toujours plus loin.
Et notre pays, ainsi que ses partenaires n’arrivent pas à garantir à ces braves militants l’application des traités. On peut légitimement se poser des questions sur le bien fondé d’institutions qui ne fonctionnent pas.
L’escalade de violence verbale de la part de la classe politique russe contre les personnes LGBT et le passage de loi « anti-gay » à travers tout le pays à nourri une violence « physique » jamais vue dans la Russie moderne.
Comme les media américains et français l’ont reporté, des groups neo-nazis attaquent les LGBT, filment leurs forfaits et les mettent en ligne sur des sites de partage de vidéo comme Youtube. Il est difficile de décrire le sordide de victimes jetées en pâture, forcée de donner leur nom, leur adresse, leur école… Certaines victimes ont à peine 15 ans.
D’autres sont simplement torturés puis tués.
Les criminels agissent en toute impunité. Ils ne sont jamais inquiétés.
La France, son gouvernement, est-il impuissant dans un pareil cas ?
Loin de là.
Il y a deux voies possibles.
La première, continuer la « real politik », une rhétorique expliquées à de multiples reprises aux associations françaises et à des militants russes. Cela revient à ne rien faire. Aujourd’hui ce temps doit être derrière nous. Plusieurs crimes ont été commis, des homos sont morts. Beaucoup sont en danger. Il devient urgent d’agir.
La seconde revient à s’inspirer de méthodes qui ont prouvé leur efficacité.
Vous pouvez mettre en marche la procédure prévue par les accords de Shengen dite de « consultation » concernant les deux promoteurs des lois « anti-gay », les députés Mizulina et Milonov. Vous pouvez les interdire de rentrer en France.
Il n’y aurait vraiment rien d’inédit dans cette démarche. Souvenez vous de la crise ente la Suisse et le régime du Colonel Kadhafi suite à la détention arbitraire de ressortissants suisses à Tripoli.
D’ailleurs, une telle action n’empêchera pas les députés Mizulina et Milonov de visiter les autres pays de l’espace Shengen qui souhaiteraient leur accorder un visa territorial. Mais le message de la France, au moins, sera clair.
Des militants américains ont d’ailleurs lancé une pétition similaire auprès de la Maison Blanche, demandant à son administration un visa ban. Et il n’y a rien d’inédit dans cette démarche : les américains ont déjà créé la liste Magnitisky.
D’ailleurs, le prix de la liste Magnitsky la France l’a déjà payé. Les russes ayant rendu l’adoption d’enfants russes impossible pour les américains, ce qu’elle vient de faire également pour les français pour d’autres motifs.
Il est urgent d’arrêter ce déchaînement de violence en faisant comprendre à leurs auteurs que leur comportement aura des conséquences immédiates.
De cette violence dont pour l’instant seuls des Russes ont été victimes, des ressortissants français pourraient également en être victime.
Depuis plusieurs années, les associations françaises, les militants, anonymes ou non, ont soutenu les LGBT russes. Plusieurs ont été arrêtés et blessés en participant à des manifestations interdites et pour lesquelles la CEDH a condamné la Russie. Certains d’entre nous seront à Sochi pour les Jeux pour redire encore et toujours notre solidarité car nous sommes décidés à ne pas respecter la loi anti-propagande gay.
Cette loi comme vous le savez est contraire à la Convention Européenne des droits de l’homme et nous attendons de vous que vous rappeliez ce point à votre homologue russe. Comment accepter qu’une loi contraire aux engagements internationaux de ce pays soit appliquée ?
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.